avec Catherine Deneuve, Jean Marais, Jacques Perrin, Delphine Seyrig
Il était une fois un roi qui après la mort de son épouse, jura qu'il n'épouserait une autre femme que si elle surpasse en beauté sa femme disparue. Il se rend alors compte que si cette femme existe bel et bien, il s'agit de sa propre fille. Refusant les avances de son père, la princesse décide de s'enfuir, vêtue d'une peau d'âne offerte par sa marraine de fée...
De retour d'un séjour aux Etats-Unis, où il vient de réaliser un Model Shop (1969) au succès en demi-teinte, Demy décide de s'atteler à un projet d'adaptation de conte qu'il nourrit depuis le début des années 1960 : il s'agit de Peau d'Âne, relaté en 1697 par Charles Perrault dans ses Contes de ma Mère L'Oye, une histoire qui, étrangement, avait été très peu portée à l'écran jusque là. Le projet se met en place alors que Demy est toujours aux Etats-Unis, en grande partie grâce à l'action de deux femmes : la productrice Mag Bodard, qui réunit les fonds nécessaires, et l'actrice Catherine Deneuve, déjà à l'affiche des Parapluies de Cherbourg (1964) et des Demoiselles de Rochefort (1967), qui se dit prête à rejoindre à nouveau l'univers enchanté du cinéaste. Le tournage se déroule durant l'été 1970, Demy et son équipe investissant plusieurs châteaux français (Chambord, Le Plessis-Bourré, Pierrefonds, Neuville) pour donner corps au monde fantastique du film.
Ce choix de décors principalement naturels a pour effet de créer une ambiance originale, en créant un contraste entre le réalisme du cadre et l'élément féerique particulièrement sensible dans les choix de mobilier (réalisé par Jim Léon) et de costumes (dus aux italiens Agostino Pace et Gitt Magrini). Une autre marque d'originalité réside dans le choix du sujet lui-même : bien que l'histoire de Peau d'Âne soit écrite en français, l'adaptation de contes n'est pas une spécialité de notre cinéma, à quelques exceptions près, ce qui oblige Demy à inventer un univers de toutes pièces sans avoir énormément de références visuelles préétablies. Il fait alors un choix audacieux : alors que le film semble avant tout destiné au public enfantin, il décide de ne pas édulcorer le conte de Perrault, conservant la dimension incestueuse qui lie l'héroïne à son souverain de père (Jean Marais). Il n'hésite pas non plus à jouer avec les anachronismes, par le biais d'un truculent personnage féminin, la Fée des Lilas (Delphine Seyrig) qui, ayant le pouvoir de voyager dans le temps, ne cesse de faire référence au présent du spectateur de l'époque, jusqu'à faire une apparition à bord d'un hélicoptère ! Dernière originalité : à l'image du Blanche-Neige de Disney, Demy choisit de faire de Peau d'Âne une comédie musicale, faisant une nouvelle fois appel à son compositeur préféré, Michel Legrand, qui livre ici une musique hybride mélangeant des éléments de musique classique (plus particulièrement la forme de la fugue) à des harmonies issues du jazz, ce qui lui permet de jouer à son tour avec la notion d'anachronisme.
Peau d'Âne est aussi marqué par sa dimension cinéphile, assez typique de l’œuvre de Demy. Ici, c'est surtout La Belle et la bête (1946) de Jean Cocteau qui est convoqué, non seulement à travers le choix de Jean Marais pour le rôle du roi bleu mais aussi à travers certains clins d’œil visuels (l'emploi du ralenti lors de la fuite de la princesse, les statues vivantes qui ornent le château bleu, les bougies qui s'allument toutes seules). D'autres références sont également disséminées dans le film. Ainsi, les effets spéciaux simples mais efficaces, notamment lors des apparitions et disparitions de la fée des lilas, ne sont pas simplement des solutions de mise en scène peu coûteuses, mais renvoient également au cinéma muet des premiers temps, reprenant des dispositifs éprouvés dès le début du XXeme siècle par des pionniers du fantastique comme Georges Méliès. De même, des références au Blanche-Neige de 1937 apparaissent ça et là, notamment à travers le personnage de « la vieille » (Louise Chevalier), qui n'est pas sans rappeler, sous une apparence moins maléfique, la version transformée de la méchante reine dans le film de Disney. A travers cette dimension cinéphile, Demy montre que son film, bien qu'il soit visuellement singulier, s'inscrit finalement dans une tradition du féerique à l'écran qui s'abreuve aussi bien aux sources du cinéma français qu'à celles du cinéma américain, prolongeant ainsi l'hybridation esthétique qui était déjà à l’œuvre dans ses films précédents.
Erwan Cadoret, extrait du livret d'accompagnement de la programmation 2019-2020 : Contes et Légendes
> Contes et Légendes : livret d'accompagnement de l'exposition (PDF)
> Contes et Légendes : livret de la programmation cinéma (PDF)
Séances
• Cinéma Le Montagnard, La Montagne
• Montluc Cinéma, Saint-Étienne-de-Montluc
• Cinéma Saint-Joseph, Sainte-Marie-sur-Mer