France, 2015, 1h19
avec Soria Zeroual, Zita Hanrot, Kenza Noah Aïche
Fatima vit seule avec ses deux filles : Souad, 15 ans, et Nesrine, 18 ans. Elle maîtrise mal le français et le vit comme une frustration dans ses rapports quotidiens. En arrêt de travail suite à une chute, Fatima se met à écrire en arabe ce qu’il ne lui a pas été possible de dire jusque-là en français à ses filles.
Fatima, sous l'apparente simplicité de ce titre accrocheur, Philippe faucon aborde des thèmes multiples qui lui tiennent à coeur. Au travers du récit de la destinée d'une mère sur toile de fond d'une population d'immigrants, le metteur en scène traite de la collision des cultures et du gouffre qui sépare les générations pour brosser le tableau du voyage intérieur d'une Maghrébine et de ses rapports avec ses deux filles adolescentes. Hors cadre, dans notre vie et dans les médias, une actualité brûlante se dresse. Les mots "immigrants", "réfugiés", "noyés", "repoussés à la frontière", voire "migrants", fournissent la trame de nos supports d'information. Au regard de cette réalité, quelle empathie devrait-on ressentir pour une immigrée installée depuis vingt ans dans un nouveau-pays ? Même si le problème de l'immigration se pose avec plus d'acuité aujourd'hui, ce sujet a déjà été abondamment traité dans les cinématographies, notamment celles issues d'ex-puissances impériales telles la France, la Grande-Bretagne, mais aussi le cinéma allemand contemporain. Mais l'urgence socio-politique de notre quotidien ne tendrait-elle pas à éclipser sur le long terme notre aliénation, à savoir la désorientation pour un sujet quelconque face à la nécésité économique et morale de développer un autre rapport au monde. Si La Désintégration, le septième long métrage de Philippe faucon, abordait l'endoctrinement de la jeunesse par des forces fanatiques, ici on est confronté à la complexité de l'intégration sous son angle pérenne. Par quel moyen rester soi-même ? Philippe Faucon s'approche de l'Autre tout en respectant son intimité et sans être démonstratif : comment exprimer par les images et les sons le dilemme d'une femme de ménage étrangère de 44 ans, digne et sensible, qui souffre de mal maîtriser sa langue d'adoption ? Voilà ce que le cinéaste se donne pour tâche. Le défi est relevé et le pari, gagné. Le film séduit pas sa profonde humanité ainsi que par la finesse de sa mise en scène.
Eithne O'Neill, Positif, octobre 2015