Suède-USA - 1971 - 1h57 - VOSTF
avec Thommy Berggren, Anja Schmidt, Kelvin Malave
1902, Joe et son frère Paul débarquent à New-York en quête d’une vie nouvelle. Ils apprennent la langue, survivent de petits boulots et décident l’un après l’autre de partir tenter leur chance à l’ouest.
Tout comme Joseph Hillström, le réalisateur Bo Widerberg est suédois. Au regard de sa filmographie, on suppose que s’il s’est intéressé à son compatriote, ce n’est pas par chauvinisme… Son premier long-métrage Le Pêché suédois (curieuse traduction du titre original signifiant "le landau") met en scène une jeune ouvrière qui veut décider de sa vie en toute indépendance des hommes. Il sort en 1963 son deuxième film, Le Quartier du Corbeau, décrivant la vie des ouvriers dans ce faubourg misérable de Malmö dont il est originaire. L’atmosphère et l’esthétique sobre du noir et blanc de ce film sont à rapprocher de la Trilogie écossaise que Bill Douglas tournera 10 ans plus tard. Puis en 1969, Widerberg réalise Ådalen ‘31 pour rendre hommage à cinq ouvriers tués par l’armée au cours d’une grève majeure. Rien de très étonnant donc qu’en 1971 il s’intéresse à la célèbre figure de Joe Hill, émigré suédois sur le territoire américain, poète et syndicaliste injustement condamné à mort.
Un policier explique aux membres du syndicat IWW (Industrial Workers of the World) que contrairement à eux, l’Armée du Salut peut propager ses idées dans la rue puisqu’elle le fait en chantant. Joe a donc la géniale idée d’écrire des tracts chantés, de surcroit sur des airs populaires, leur garantissant très vite un certain succès. Ces chansons, passées à la postérité composent une partie de la bande originale du film. Alors que sur le générique de début et de fin, une voix féminine très identifiable dans les années 1970 nous conte qu’elle a rêvé "avoir vu Joe Hill la nuit dernière, aussi vivant que vous et moi". Joan Baez a composé et interprété cette chanson notamment à Woodstock en 1969. Papesse des protest songs elle signe aussi "Here’s to you" avec Ennio Morricone pour la bande originale de Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo.
Widerberg réalise un film lumineux et drôle, mettant en scène des personnages enjoués tout autant que déterminés. Thommy Berggren, ami et acteur favori de Widerberg, interprète magistralement Joe, partageant avec le personnage et le cinéaste le souvenir d’une enfance rude et pauvre. Lorsqu’un gamin dérobe son étole à une bourgeoise, elle le poursuit pour tenter de récupérer son renard. S’en suit une séquence époustouflante où la dame et le spectateur s’enfoncent dans les bas fonds de New-York découvrant des visages plus ravagés les uns que les autres. Filmés en caméra subjective, les plans sur des hommes décharnés et ivres se succèdent au rythme des pas de la femme, alternant avec des gros plans sur son visage baigné de larmes. Une plongée documentaire accompagnée de la plainte d’une guitare blues dont les images percutantes et dérangeantes rappellent le film de Lionel Rogosin, On the Bowery (1957).
Réalisant que le nouveau monde n’a pas éradiqué la pauvreté, Joe refuse la débrouille individuelle et choisit de se battre. Il rejoint ainsi ceux et celles qui ont décidé de s’organiser pour davantage de justice sociale, contrairement à Blackie, son camarade de route. Celui qui lui a appris comment voyager en train considère qu’il n’a pas besoin des autres pour prendre soin de lui et se déclare "hobo indépendant".
Si Widerberg livre sans conteste un film politique, il procède avec finesse en restant au plus près de son personnage. Son Joe Hill, inlassable rebelle, concentre en lui une telle force qu’il n’a pas besoin d’asséner de discours. Il ne dissimule pas la violence mais sa caméra s’attache à souligner la solidarité et la détermination des prolétaires. Alternant scènes graves et envolées légères le réalisateur ne fait jamais le choix du misérabilisme pour décrire la rudesse du quotidien. La scène du dîner au restaurant, une trouvaille de Joe pour entrer en contact avec les employés d’un restaurant chic, est particulièrement jouissive pour le spectateur et le personnage. Car à l’image de Joe, Widerberg déborde d’inventivité pour imprimer le souvenir de ce pétillant jeune homme, malicieux et combatif.
Extrait du livret d"accompagnement 2019/2020 (Céline Soulodre, Guy Fillion)